Une voix dans la nuit

Publié le par yelahiah

 

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Au bout de la cursive du débarcadère, j’aperçus mon amie qui m’attendait. Elle m’assaillit de question sitôt abordée. Je ne pus prononcer une syllabe avant d’être à l’abri d’oreilles indiscrètes, bien enfermée dans sa voiture. Au fur et à mesure de mon récit, son visage variait de la stupeur incrédule au dégoût méprisant pour l’offense subie. Puis, sans transition, elle me posa, à brûle pourpoint, une rafale de questions.

 

Je me sentais tellement avilie, honteuse, abasourdie que je n’avais pensé qu’à me cacher sous terre. Alors que mon amie pensait plutôt à sauver cette vie dont je ne voulais plus. Enceinte ! Ce mot percuta mon esprit comme une gifle ! Oh, non ! Surtout pas ça !


J’allais acquiescer à l’offre de ma confidente lorsqu’elle stoppa la voiture devant une clinique. Tout à mes pensées je n’avais réalisé que nous roulions. Elle fit le tour de la voiture et m’en sortit pratiquement de force tellement j’étais amorphe à toute décision. Le fait de m’être ouverte à mon amie avait drainé les dernières traces de volonté. Comme si ma confession eut pu expliquer, aux yeux des autres, le pourquoi de ma subite disparition. Presque traînée dans les couloirs de la clinique, je fus virtuellement portée par deux infirmières qui vinrent à son secours pour me déposer sans ménagement, mais avec délicatesse, sur le fauteuil d’auscultation d’un médecin de garde. J’entrevis vaguement mon amie s’entretenir avec ce dernier. Puis je le vis avancer vers moi. Malgré le ton doux et calme de sa voix, mes jambes battaient des records de twist, mon corps vibrait comme un drapeau au vent et je me débattais pour avaler une bouffée d’air. Il alla à son bureau, prit des cachets, les donna à mon amie en les accompagnant d’un verre d’eau.

J’avalai les cachets comme si c’était des capsules de cyanure destinées à mettre un terme à ma déchéance.

 

Presqu’aussitôt je sentis mon corps se relâcher et j’eus la sensation de flotter. J’entendais des voix lointaines. Je voyais des ombres s’agiter. Je participais aux examens avec l’étrange impression de ne pas être le sujet de cette auscultation. Le médecin donna des ordres impérieux pour que les analyses soient faites sur l’heure. Après la visite, on m’installa dans un fauteuil dans un coin du cabinet où, dieu seul sait combien de temps après, mon amie vint me rejoindre avec un sourire réjoui. Rien ! Tous les résultats étaient négatifs ! Le praticien me conseilla de porter plainte et de voir un spécialiste pour ce type d’agression. Je répondis que j’allais le faire, tout en me disant qu’il y avait déjà beaucoup trop de gens au courant de mon infortune. De retour chez moi, je m’affalai dans la bergère d’où tout était parti. Mon amie avait du mal à me laisser seule. Elle craignait un acte désespéré. Elle ne connaissait pas ma force de caractère. Je saurais faire face. Je saurais…….


Quand je me réveillai, j’entrevis un homme traverser le hall d’entrée. Mon cœur bondit dans ma gorge m’empêchant de prononcer un son et je me recroquevillai dans le fauteuil. Des voix qui me parvinrent, je compris que l’homme prenait congé. Mon amie fit irruption dans le salon et, voyant ma position, s’excusa et m’expliqua qu’elle avait pris l’initiative de changer les serrures. À sa décharge, se défendit-elle, d’après mes propres propos, tous mes effets personnels étaient restés là-bas avec et y compris mon trousseau de clés. Du coup, elle avait fait changer les serrures à ses frais, sûre d’être remboursée des débours encourus. M’assurant être désormais en sécurité, elle rentra chez elle me promettant de repasser plus tard. Une fois seule avec moi-même, je me remémorai les quelques jours dans le désert cherchant dans mes souvenirs une trace, une évidence qui put expliquer ce qui m’était arrivé. J’avais dû faire ou dire quelque chose qui a pu faire croire à cet individu que j’étais d’accord. Mais j’eus beau chercher, je ne trouvai rien. Pourtant, il devait y avoir quelque chose ! Sinon, comment expliquer ce qui m’était arrivé ?

 

Le lendemain, je me jetai à corps perdu dans le travail. Alors qu’avant je m’astreignais, malgré ma solitude, à disposer de plages horaires de liberté, là, j’occultais ma vie privée au profit de ma vie professionnelle. Je devins irritable suspicieuse, soupçonneuse. Une simple œillade croisée dans la rue ou dans un magasin, un simple mot entendu au cabinet ou aux infos, une musique, une photo, un changement de temps, tout me rappelait mon drame et me faisait m’enfermer chez moi à double tour, l’œil et les oreilles aux aguets. Moi, d’habitude désinvolte et exubérante, je devins embarrassée et  taciturne. Rasant les murs, me fondant dans le décor, mes vêtements se muèrent en armure. À chaque regard me portant un quelconque intérêt, mon col remontait et ma jupe s’allongeait.  Enfin, pour le peu que j’en portais désormais.  Il fallait vraiment que quelqu’un persévère à m’inviter pour que, peur d’éveiller des soupçons, j’acceptasse de m’y rendre,. Les tenues de soirée dont j’étais friande, disparurent au profit de tailleurs dont le puritanisme n’avait rien à envier à la prude époque victorienne.


Ma vie se transforma aux yeux du monde en un long fleuve tranquille. Alors qu’en moi, un cancer d’un genre nouveau me rongeait et gangrénait le corps avec la violence d’un ouragan déchaîné. Mes nuits n’étaient qu’une suite de combats entre les cauchemars, le tabac, les souvenirs, la boisson, les questions et les cachets de somnifères. L’engrenage infernal était lancé. Le travail m’abrutissait. Les cauchemars et les souvenirs me minaient. L’alcool et le tabac me détruisaient. Et les cachets achevaient ce jeu de massacre. Je descendais la pente de la déchéance à la vitesse d’un supersonique. Le pire étant que je m’en rendais compte sans pour autant réagir. Encore une fois, l’indéfectible amitié vint me tirer du gouffre en me conseillant un dérivatif qui me soit moins nocif que mon cocktail suicidaire.

 

C’est ainsi que, pour meubler mes longues nuits d’angoisse, j’entrepris d’étoffer une page d’internet, ce qu’on appelle communément ‘’blog’’, de mes états d’âme. Je m’obligeai donc, pendant mes veilles forcées, à donner de moi l’image que tout le monde souhaitait : Celle d’une jeune célibataire pleine de vie et d’entrain que rien ne semblait devoir abattre. C’est au cours de mes pérégrinations sur la toile que je rencontrai tout un monde qui souffrait. Tout un univers fait de magouilles, d’entraides, de jalousies, d’amitiés. Un ensemble chaotique de beau, de moins beau et de laid qui me permit de m’évader de mes sombres pensées. Mais la blessure était toujours là, profonde, tenace, insupportable, indélébile. Je m’efforçai de paraître gaie, forte, sûre. J’y réussis tellement bien qu’on me demandait des conseils pour atteindre cet état de félicité et de bien être. Alors qu’à l’extérieur je donnais l’illusion du bonheur, à l’intérieur la réalité de mon enfer se faisait de plus en plus catastrophique.


L’abîme de mon désespoir atteignit des dimensions pharaoniques le jour où je reçus, par courrier, une part de mes effets personnels laissés à ferme. Quelques bijoux, des notes et mon inséparable appareil photo. Que de revoir, sur des paysages anodins, la présence du responsable de ma déchéance me cloua au lit, rivée à la bouteille pendant deux jours entiers. Mon amie se fâcha et jura de me laisser tomber si je ne réagissais pas au plus vite. La menace fit son effet ! Dans mon brouillard éthylique j’entrevis l’horrible perspective de me retrouver orpheline. Prenant le peu de courage qui me restait et rassemblant le reste d’énergie dont ma volonté embrumée disposait encore, je pris la ferme résolution de me sortir de ce gouffre. Mes récits et mes différents textes, s’ils me permettaient de meubler mes nuits d’insomnie ne comblaient pas le vide abyssal de mon existence.


J’étais persuadée que quiconque, homme ou femme, aurait ressenti un quelconque sentiment envers moi, cette émotion n’aurait pu être véritable et désintéressée. L’image rayonnante et sereine véhiculée par mon blog, en net décalage avec mes réactions dans la vie réelle, éclaircissait les rangs de mes amies et connaissances. Mes amis se raréfiaient. Ma famille me fuyait. Malgré l’apparence idyllique que je voulais donner de moi, j’avais la sensation de n’avoir rien qui puisse susciter l’affection ou l’intérêt d’un autre être humain. Un matin, j’eus la surprise de trouver un message sibyllin parlant de souffrance sécrète sur ma page web. Intriguée, je contactai mon énigmatique visiteuse pour avoir des éclaircissements. Bien que je me défende d’avoir un ennui quelconque, elle m’expliqua qu’au travers des mots employés dans mes sujets, qui se voulaient joyeux, elle avait décelé ma profonde blessure. Ayant subi une expérience similaire à la mienne, elle était bien placée pour en reconnaître les stigmates. À partir de ce jour, nos échanges se firent plus fréquents et nourris et, à ma grande surprise, que de m’ouvrir à cette inconnue, apporta, dans la froideur de mes relations, un souffle de chaleur réconfortante....

 


Publié dans horizon lointain

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D
<br /> <br /> Après une telle épreuve, c'est plus que normal de se cacher derrière un masque et foncer corps et âme dans le travail, il faut bien s'occuper<br /> l'esprit pour éviter de penser. Souvent l'ouverture d'un blog permet de se libérer mais encore faut il être prudent car tant de personne se cache de façon plutôt miséreuse et sont à l'affut des<br /> âmes sensibles et torturées, donc logique que tu ais réussi malgré tout ce que tu as subi à ne pas te dévoiler sur la toile, Il faut dire qu'il y en a des vipères de cachées et encore plus<br /> derrière un écran. On peut souvent "tricher" avec les mots sur un blog justement, souvent on m'a reproché d'écrire des mots plus que triste ou ne parlant que d'amitié, mais je n'ai simplement<br /> jamais réussi à écrire quelque chose qui n'existe pas, beaucoup sont doués pour inventé des belles histoires, des contes et autres écrits, moi j'écris mon vécu, mais un jour, tout fini pour vous<br /> revenir en pleine figure justement parce que la tristesse a fait et fait encore souvent partie de mon quotidien et pour l'amitié, même née en virtuelle (ce qui mon cas à 99%) je sais qu'elle peut<br /> être plus que réel. En amour, en amitié, c'est avec les épreuves que l'ont vit qu'on arrive à savoir si cela va être sincère, car même s'il est vrai que les noms disparaissent à vu d'oeil, il y a<br /> des personnes pour qui cela compte beaucoup. Après le tout est de savoir prendre la main qui t'est tendue. Je t'embrasse<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> Je sais bien  que le monde virtuel et aussi malsain que le monde réel<br /> et que les mots peuvent faire très mal. mais je dois mon salue au virtuel,<br /> a la rencontre d'âmes pures et généreuses qui ont su me tendre la main et<br /> percevoir mon mal sans rien dire et être la dans mes silences.<br /> Je t'embrasse<br /> <br /> <br />
L
<br /> Heureusement que tu avais pu en parler déjà avec ton amie, c'est vrai que l'on ne pense pas à ce qui peut arriver après une telle chose, entre maladie et autre... c'est déjà tellement difficile à<br /> assumer alors si il y avait eu encore des suites, je n'ose même pas imaginer. L'après, bien plus dur a supporter, entre solitude et dépression, ce cacher derrière un masque et se lancer a fond dans<br /> le travail, je connais tellement et c'est tellement plus facile. Mais comment continuer à le supporter intérieurement. Pas simple de faire à nouveau confiance après avoir subit un tel acte, et de<br /> toute façon se dire finalement qui peut bien comprendre...<br /> <br /> <br />
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Y
<br /> je commence seulement a entrevoir la lueur du jour<br /> après ces longs mois enfermé entre quatre murs.<br /> mais cette petite lueur est encore très fragile.<br /> Il y a un écart entre les mots et les actes.<br /> j'avance pas à pas ... tremblante, titubante<br /> mais j'avance tout comme toi<br /> <br /> <br />