Entre ciel et terre

Publié le par yelahiah

   


Le lendemain, le soleil n’avait pas encore dispersé la fraîcheur de la nuit que « la caravane » était déjà prête au départ. Mon guide avait choisi deux chameaux comme montures et un troisième pour l’indispensable matériel de bivouac. Il m’expliqua sommairement « l’emploi de ce moyen de locomotion » et, sans plus attendre prit la route du Sud. Après un essai infructueux, je parvins à lui emboîter le pas. Juchée à dos de chameau je pus mieux appréhender la petite propriété qui disparut presque d’emblée derrière une anfractuosité du terrain qui m’ouvrait la vue sur une vaste étendue sablonneuse. Aussi loin que portait mon regard ce n’était que vagues et dunes de sable Mon guide accélérait l’allure. Il avait hâte de rejoindre l’oasis avant que le soleil ne soit à son zénith. Du haut de mon perchoir, j’aspirais de grandes bouffées d’air me sentant aussi légère qu’une libellule. Une vipère à corne s’éloigna vivement, en louvoyant, à notre arrivée suivie d’un fouette-queue qui avait l’air d’hésiter quant à estimer lequel des deux dangers était le plus menaçant. De petits renards de poche s’éclipsèrent discrètement à notre approche en nous lançant des regards réprobateurs. Plus loin une salamandre appréciait notre passage en se dorant au soleil. À l’horizon, un vent léger soulevait un petit voile de sable qui s’en venait coiffer un erg lui faisant comme une auréole scintillant au soleil. Un ‘’esprit du djinn’’, sorte de mini tornade, se mit à danser sur une dune creusant en son sommet un petit cratère. Un silence impressionnant pesait sur le reg et n’eut été la peur de tomber, l’allure du chameau m’aurait bien endormie de son balancement. Quelque temps plus tard, l’animal de tête se mit à blatérer, signe que le daya n’était plus très loin.

 

Au passage d’une énième dune, il nous apparut dans toute sa splendeur d’écrin de verdure perdu dans cette mer de roches et de sable. Comme conscients de ce qui les y attendait, nos montures prirent de la vitesse et nous dûmes batailler pour éviter qu’elles ne finissent en course. À l’orée de l’oasis, l’escorte attacha les chameaux pour éviter qu’ils ne se goinfrent et commença à les déharnacher. Devant ma perplexité, il m’expliqua que certaines plantes étaient très nocives et pouvaient entraîner la mort des animaux. C’est pourquoi il prenait la précaution de les approvisionner lui-même. Il m’invita, pendant qu’il se livrait à cette occupation, à visiter l’oasis.  Ayant repéré un petit creux entre des hautes herbes, je m’aventurai, toute habillée, dans l’onde fraîche tout en m’assurant de toujours avoir pied. Une fois rafraîchie, j’entrepris de visiter l’endroit. Presqu’aussitôt je tombai sur les traces d’un ancien bivouac voisinant avec ce qui ressemblait vaguement aux restes d’un édifice mais mes faibles connaissances en la matière ne me furent d’aucune utilité pour en déterminer la nature.


J’en étais à constater la rapidité avec laquelle mes habits avaient séché quand un bruit soudain me fit pivoter juste à temps pour apercevoir une famille d’addax prendre le large dans un nuage de poussière. Sur un petit éperon rocheux un goundi suivait d’un œil attentif la scène. Je le mis en joue mais avant que je pus l’immortaliser sur mon appareil, l’arrivée impressionnante, autant qu’exceptionnelle d’un guépard le fit fuir, ainsi que la dizaine de lézards de toutes taille et espèce que mes yeux de civilisée n’avaient pas décelés derrière leur camouflage. Reculant prudemment, je m’écartai de l’axe de l’eau tout en me rapprochant de la pointe rocheuse. Je n’osai appeler mon guide de peur que l’appel n’attire plus vite le fauve que les secours. Une gazelle Dorcas, comme répondant à ma prière,  s’élança sur la plaine aride éloignant le prince du désert et permettant à mon cœur de se calmer. Je récupérai doucement, tout en maudissant la peur qui m’avait empêché de prendre la bête en photo,  lorsqu’un couple de moula-moula vint se disputer le reste de queue qu’un lézard avait abandonnée dans sa fuite. J’en étais à  admirer leurs ébats lorsqu’al-mourchid me héla : Une caravane bédouine approchait.

 

Après les salutations d’usage et après avoir monté leur tente, les plus jeunes se mirent en quête de bois dévastant, me sembla-t-il, quelques arbustes d’épineux. Les plus âgés s’occupèrent à réparer des outils sur une meule dormante. J’appris ainsi l’utilité de ce que j’avais pris pour des ruines : une forge mégalithique touareg.  Une paire d’entr’eux s’enfonça dans le reg. Peu de temps après un feu grésillait gaiement et une femme s’activait pour préparer le traditionnel thé de partage. La nuit tombait lorsque les chasseurs revinrent avec la dépouille d’un addax qu’ils se dépêchèrent de découper tandis que les femmes disposaient les parts ainsi recueillies  sur le foyer. Les bédouins, dépendant d’un environnement hostile ont appris à économiser leurs ressources ce qui les rend très avares de paroles mais avec des moues des visages et des regards très expressifs. Invités à partager le repas, nous offrîmes en retour quelques sachets d’armoise séchée qui furent très appréciés et qui permirent de délier les langues. C’est ainsi qu’un des anciens, pour égayer la veillée,  nous conta une vieille histoire touareg où la roublardise d’un berger vint à bout de la ruse du diable pour s’emparer de son âme. Sous couvert de fable, ces contes véhiculent la mémoire du peuple ainsi que tout un tas de conseils et mises en garde pour survivre dans le désert. Dans la fraîcheur de la nuit, entourée de cette convivialité, j’avais du mal à discerner si la chaleur que je ressentais venait des flammes ou des paroles. Je me sentais en paix avec moi-même, en accord avec les autres et en harmonie avec la nature. Dans le ciel, un peintre divin dessinait, avec les nuages et les jeux d’ombres d’un soleil mourant à l’horizon, des tableaux d’une beauté époustouflante. Sur un signe de tête du chef, toute la caravane salua et disparut sous les tentes. Je restais un moment à contempler le ciel puis, comme le soleil et les autres, je me retirai sous ma tente où je m’endormis aussitôt les yeux et la tête remplis d’images.

 

Le bruit du convoi se remettant en route me sortit de ma torpeur. J’entendais le bruissement des sandales sur le sable. Les chocs des ballots qu’on chargeait. Les ordres brefs qu’on lançait. Bien qu’ayant l’intention de faire mille choses, je restai un moment à lézarder dans ma couche. J’écoutai l’atmosphère, je réfléchissais. J’étais en vacances, rien ne me pressait, rien ne me stressait. Je n’étais pas fatiguée et pourtant je dormais plus profondément et plus longtemps qu’au pays. Mon corps avait vraiment besoin de cette période de repos et me félicitai intérieurement d’avoir pris cette décision.


Mon guide m’appelait ! Je fis valser les couvertures, je m’étirai copieusement, je coiffai en hâte ma chevelure et répondis :


Le chef de la caravane voudrait vous saluer. D’autre part, il serait temps de songer à partir si vous voulez atteindre l’Oued avant la nuit.


Je rectifiai rapidement mon allure générale et sortis précipitamment manquant, de la sorte, de renverser une jeune bédouine m’apportant une tasse de thé. Tout en m’excusant, je souris en pensant : À défaut de thé au harem, j’ai le petit déjeuner au désert.

Sur ces entrefaites, l’Ancien vint me remercier pour l’offrande faite le soir.


Une pensée amusante me traversa l’esprit : Lorsqu’on les croise, ces gens ont la courtoisie et l’amabilité d’offrir l’hospitalité. La moindre des politesses est de les remercier. En retour des remerciements, ils offrent des cadeaux. Dans la logique, il faudrait les remercier. À ce rythme de ping-pong d’offrandes, on ne va pas être près à se quitter avant d’avoir échangés tous nos biens. Je souriais, cherchant une réplique pas trop idiote quand le sage m’ayant déposé un petit sac en jute dans les mains, tourna les talons et partit sans un mot. Je restai avec ma réponse sur le bout de la langue. Al-mouajih avait déjà replié la tente et s’apprêtait à charger le bât. J’aspirais un bol d’air chargé de toutes ces senteurs exotiques en pensant que ces gens en avaient de la chance, malgré l’absence des commodités de la modernité, de ne pas avoir à subir les inconvénients de la civilisation. Je me revis, à cet instant, coincée dans un embouteillage et tempêtant comme un charretier. Je sus à l’air étonné de mon escorte que je venais d’avoir un petit rire enveloppé d’un grand sourire.

Publié dans horizon lointain

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