Le séjour

Publié le par yelahiah

 

 



Son premier geste fut de me débarrasser de toutes mes emplettes en les empilant soigneusement sur un coin de la banquette arrière…….. Sauf un quart de la fougasse auquel je me cramponnai de toutes mes dents. Bien qu’une partie de mes bagages ait déjà disparu dans le coffre de la voiture, les chauffeurs de taxi se disputaient toujours l’insigne honneur de me conduire à destination. L’un arguant du confort de son véhicule, l’autre vantant la capacité du coffre de sa berline, celui-ci s’enorgueillant de la vitesse de son automobile, celui-là faisant valoir la modernité de son taxi. Excédé par autant de sans gêne, l’employé les dispersa comme on chasse une volée de moineaux d’un lopin de terre qu’on vient de semer. Il avait à peine fini de charger le reste des valises sur le siège arrière de la Peugeot, et moi mon repas sur le pouce que, voulant immortaliser l’instant et  l’endroit, je vis, à travers mon objectif, un collier de perles qui n’aurait pas dépareillé mon cou. Sans hésiter, j’allai voir l’artisan et marchandai l’achat du bijou. Son étal était un régal pour les yeux avec la multiplicité des vraies et fausses pierres fines mélangées à un bric-à-brac de bracelets en or ou cuivre. À côté, un autre rivalisait dans l’exposition de plats d’argent ou d’aluminium, les bibelots et les chandeliers en ivoire ou en agrégat composite. Un autre encore débordait sous une pléthore de vases en faïence ou terre-cuite peinte à la main de façon industrielle. Plus loin, un autre croulait sous une multitude de tapis multicolores alors qu’un autre encore vantait son stand des toutes dernières nouveautés de composition musicale soutenu dans son harangue par la voix mélodieuse d’une artiste locale. J’en étais à ne pas savoir que choisir lorsque mon chauffeur, vu l’heure avancée, insista pour que nous partions sur le champ. À contrecœur je dus me rendre à ses arguments et le suivis docilement. De l’autre côté de la place, j’aperçus la nuée de camelots se disputant les faveurs d’un distingué gentleman complètement subjugué par les vociférantes négociations le concernant. Je souris en imaginant que s’il attendait à ce qu’ils se mettent d’accord, il n’était pas près d’atteindre son but.

 

Malgré toutes les vitres baissées, la 404 ressemblait plus à un four solaire qu’à un véhicule de location. L’atmosphère y était étouffante et j’essayai vainement de combattre la chaleur en buvant régulièrement. Mes vêtements collaient de sueur et les ressorts des sièges, fatigués par des années de bons et loyaux services, s’étant décidés à prendre leur retraite, me labouraient joyeusement l’arrière-train. La carrosserie et les amortisseurs se disputaient avec le moteur pour savoir lequel ferait le plus de bruit. Le chauffeur, aussi imperturbable qu’une statue poursuivant sa route, suivait, tant bien que mal, un semblant de ruban de macadam enfoui sous une couche de sable fin qui cachait traîtreusement les nombreux « nids de poule » que nous ne manquâmes pas d’intercepter sur notre trajet. Malgré ces désagréments, j’étais aux nues emplissant mes yeux d’un arc-en-ciel de couleurs bigarrées. Dans les oreilles, Oum Kalthoum s’égosillait à chanter sa dévotion pour Fatima. Pendant que mon corps fondait à vitesse « saunique »,  mon esprit, lui, nageait dans un mélange de bonheur et de sérénité.


Je planais délicieusement lorsque la voiture cala net. Vu l’état général de la guimbarde, je craignis une panne mais le chauffeur sortant de l’habitacle empoigna un tapis sous son siège, s’empressa de faire ses ablutions aidé d’une petite fiole et se mit à prier sur le bord de la route. Au loin, un muezzin appelait à la prière. Mon premier reflexe fut de prendre une photo mais je me ravisai aussitôt. Il est des usages qu’il vaut mieux ne pas déranger lorsqu’on voyage. Ayant fini ses prières, le plus naturellement du monde, nous reprîmes la route. Une heure de cahots et de soubresauts plus tard, j’arrivai à destination. Le préposé se mit en devoir de décharger immédiatement mes bagages.

 

Extérieurement, la maison ne payait pas de mine. On l’eut dit construite au début du siècle passé.  Seule concession apparente à la modernité, une parabole flambant neuve trônait au milieu de l’enclos à moutons. Quelques oliviers et de rares palmiers dispensaient une ombre parcimonieuse à un vaste patio où s’égaillaient quelques poules. À l’entrée du jardin un énorme mastiff veillait au grain. Plus loin, un couple d’ânons se partageaient l’ombre d’un oranger. Une paire de chameaux, blatérant, m’obligea à me retourner pour contempler ces fiers vaisseaux du désert qu’un jeune homme conduisait nonchalamment vers ce que je crus distinguer comme étant un puits entouré d’une dense végétation d’acacias. D’autres chameaux paissaient plus loin. Derrière eux, j’aperçus au loin les premiers contreforts rocheux annonçant le désert. Un chapelet d’exhortations enjouées déversé par une avenante maîtresse  m’enjoignit de pénétrer dans l’habitation. L’intérieur, pourtant sobre, contrastait avec la vétusté de l’extérieur. Tout y était d’une propreté rigoureuse décoré avec élégance et goût. Des tapis, au sol et aux murs, donnaient la touche artistiquement conviviale d’un cocon. Elle me montra la chambre où j’eus la surprise de constater que mes bagages m’y avaient précédée. La pièce était de dimensions modestes mais agréablement fraîche. Sur un mur, un miroir coiffait une carafe surveillant un bassin tandis qu’en face un lit Renaissance, flanqué d’une table de nuit Empire faisait la conversation à une armoire qui avait dû connaître Mourad l Bey, au temps de sa jeunesse. Les deux partis étaient séparés par une étroite et haute fenêtre, garnie d’épais rideaux richement travaillés, qui donnait une vue imprenable sur une colline pelée.

 

Une jeune femme s’activait à mettre mes affaires à leur place tandis qu’on me priait de partager le thé à la menthe et les biscuits à l’orange. Je faisais le deuil de la douche tant espérée quand, me retournant pour suivre la maîtresse de maison, je la vis. Comme on voit une apparition. Une cabine de douche du tout dernier modèle avec, comble du raffinement, des jets masseurs. Mon regard dut avoir la supplique à faire fendre une pierre car, sans que j’eus besoin de prononcer un mot, Lé’ela m’en accorda la permission tout en me priant, d’un air entendu, de ne pas trop faire attendre ces messieurs. Vingt minutes plus tard, rafraîchie et changée, je pénétrai dans le salon où j’eus la surprise de constater qu’on y avait installé tout l’apparat pour accueillir un hôte de marque. La jeune femme de la chambre apparut aussitôt avec tout un service à thé. Tout aussi vite, je fus assaillie de questions sur la vie en Europe, les us et coutumes et, sans aucune transition, de reprocher à mes concitoyens leur manque de considération dans les saints préceptes du Coran. Ce à quoi, voyant mon embarras, mon hôte mit un terme d’autorité. Une jeunesse entra alors avec un ciste garni de pains de maison suivie d’une autre portant  un plateau débordant de victuailles diverses. Des plats surgirent devant les convives et chacun se mit en devoir d’honorer le repas. La conversation se porta tout naturellement sur les différents centres d’intérêt à visiter dans la région. Le tour fini, toute la fatigue et l’excitation de la journée me tombèrent dessus d’un coup et je me retirai dans ma chambre pour y goûter un repos bien mérité. Bien qu’éreintée, je mis un moment à m’endormir me remémorant, un sourire aux coins des lèvres, la journée que je venais de passer.

Publié dans horizon lointain

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D
<br /> <br /> Nul doute que cela devait être bien plus que mémorable, un nouveau pays, des coutumes peu connues des occidentaux, on en serait pas moins perdu,<br /> enfin je parle pour moi. Découvrir de nouveaux horizons tout simplement. Surprenant de lire qu'au moins une antenne satellite ainsi qu'une douche avec jet (svp) fassent parties du décor. On lit<br /> sans peine aucune ton parcours et la découverte que celui ci suscite.<br /> <br /> <br /> <br />
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Y
<br /> <br /> un décor idyllique en premier plan<br /> <br /> <br /> <br />